Nous avons tendance à penser qu’il est nécessaire de nous couper du monde pour devenir plus spirituel, comme vivre dans une grotte en Himalaya. Nous allons quelque part loin du monde habituel pour découvrir notre spiritualité. La même chose peut se produire avec l’entraînement mental. Nous pensons qu’il est nécessaire de nous couper de l’escalade habituelle et de faire de l’escalade en solo intégral, une forme d’escalade qui exige une concentration mentale extrême.
Le meilleur entraînement pour notre esprit ou notre mental, consiste à nous appliquer dans les situations habituelles que nous vivons. Nous devenons plus spirituels en faisant face aux situations habituelles de la vie ; nous devenons plus aptes mentalement en faisant face aux situations habituelles de l’escalade. Nous ne créons pas d’illusions sur la façon dont les situations devraient être ; nous nous entraînons dans les situations telles qu’elles sont réellement.
Par exemple, je grimpais récemment à El Arrayán, près de Santiago, au Chili, avec David Villegas, notre entraîneur espagnol. Nous grimpions plusieurs voies pour déterminer lesquelles utiliser dans le cadre d’un stage. À côté de nous se trouvait une cordée dans une voie de difficulté moyenne. Le grimpeur a clippé les trois premiers points, puis a grimpé vingt mètres de plus jusqu’au sommet sans clipper d’autres points, tandis que l’assureur donnait consciencieusement la corde comme si le grimpeur était toujours assuré. David et moi étions curieux de savoir pourquoi il faisait cela. David a donc demandé à l’assureur pourquoi le grimpeur n’avait plus clippé de points. Il lui a répondu que le grimpeur était en train de pratiquer son entraînement mental.
Ce grimpeur permettait à son esprit d’utiliser l’astuce d’être attaché à une corde pour diminuer le stress du solo intégral. Il se donnait aussi la possibilité de clipper un point plus haut s’il avait trop peur ou s’il devenait trop fatigué. Son esprit était motivé par la recherche du confort en étant attaché à une corde et en échappant à la situation réelle du free-solo, afin d’atteindre l’objectif final d’être mentalement en forme.
Ce type de motivation est dangereux et va à l’encontre du processus d’apprentissage. Notre motivation nécessite de nous amener à accepter le stress et à le gérer. Nous sommes motivés par le stress ; nous ne sommes pas motivés par le confort ou à fuir le stress.
La pratique et la réalité ont besoin d’être aussi similaires que possible. Quel type d’escalade faisons-nous habituellement ? De l’escalade sportive ou du solo intégral ? Si nous faisons de l’escalade sportive, alors trouvons des moyens de nous entraîner dans des situations d’escalade sportive habituelles. Si nous faisons du solo intégral, alors trouvons des moyens de nous entraîner dans des situations habituelles de solo intégral. Notre motivation nous pousse vers le stress de l’expérience, et non vers des astuces qui nous permettent de rester confortables et d’échapper au stress.
Les grimpeurs d’escalade sportive clippent les points et sont conscients de leur motivation. Au lieu d’utiliser des astuces pour contourner le stress de la chute, comme se précipiter d’un point à l’autre, ils ralentissent délibérément, permettant à l’esprit de faire face à la possibilité de tomber. Ils choisissent intentionnellement de concentrer leur attention. Ils s’entraînent dans des zones de oui-chute réalistes. Ils remarquent que l’esprit détourne leur attention vers la précipitation à travers le stress, puis s’engagent à ralentir. Ils concentrent leur attention sur la respiration et la détente afin d’être présents face au stress, à leurs peurs et au stress lié à la chute. Ils s’entraînent également à chuter, car la chute est une issue réaliste lors de l’escalade dans des zones de oui-chute.
Les grimpeurs en solo intégral grimpent sans corde et sont conscients de leur motivation. Au lieu d’utiliser des astuces pour contourner le stress, comme l’a fait le grimpeur à El Arrayán, ils n’utilisent pas de corde, permettant à l’esprit de gérer le stress d’être loin du sol, face à la possibilité de mourir. Ils choisissent intentionnellement la façon dont ils concentrent leur attention. Ils s’entraînent dans des zones de non-chute réalistes. Ils observent que l’esprit détourne leur attention vers des astuces, comme l’utilisation d’une corde, pour échapper au stress, puis restent engagés en faisant face à la réalité de la mort. Ils concentrent leur attention sur le fait qu’ils se trouvent dans des situations de vie ou de mort et qu’ils doivent affronter leurs peurs et le stress de mourir. Cela les aide à clarifier leur motivation pour l’escalade en solo. Ils s’entraînent également à désescalader, car la retraite est une option réaliste pour l’escalade dans les zones de non-chute.
Dans le livre de James Salter, Solo Faces, deux alpinistes parlent de l’ascension de l’Eiger en Suisse. L’un d’eux dit : “Je suppose que tout le monde veut l’escalader”. L’autre répond : “Ils ne veulent pas l’escalader, ils veulent l’avoir escaladé”. “Vouloir escalader l’Eiger” pointe vers une motivation à s’engager dans l’expérience stressante de l’escalade d’une paroi réelle et dangereuse. “Vouloir avoir escaladé l’Eiger” indique le confort obtenu une fois l’expérience stressante et dangereuse terminée.
Si nous supprimons les conséquences de nos décisions, notre motivation se déplace vers la réalisation d’objectifs et le confort. C’est l’impact total des conséquences, incluant la mort pour les grimpeurs en solo intégral, qui clarifie notre motivation et la réoriente vers un engagement dans le stress et une concentration sur l’apprentissage. Sommes-nous vraiment prêts à mourir pour escalader l’Eiger ou pour le solo intégral ? Si oui, comment pouvons-nous nous engager dans ces expériences stressantes par petites étapes réalistes qui nous font participer au stress de l’expérience réelle ?
Un jour, notre motivation d’accomplissement nous mettra dans une situation où nous devrons faire face à la réalité, alors que nous ne nous y attendons pas. Nous serons ramenés à la réalité par un choc, complétement daubé, haut dans une voie en solo intégral, face à la mort. Cette situation nous donnera l’occasion de réaligner notre motivation, pour passer de la réalisation d’objectifs et du confort à la maîtrise du stress et à la concentration sur l’apprentissage, si nous y survivons.
Nous ne vivons pas dans une grotte dans l’Himalaya pour devenir plus spirituels. Nous nous exerçons dans des situations de la vie courante, par exemple en prêtant attention à la façon dont nous agissons dans des interactions réalistes avec les autres et les facteurs de stress de la vie courante. Si nous sommes des grimpeurs sportifs, nous ne pratiquons pas le solo intégral pour devenir plus performants mentalement. Nous nous entraînons dans des situations d’escalade sportive habituelles. Nous faisons attention à la façon dont l’esprit détourne notre attention en raison de la possibilité de chute. Si nous faisons de l’escalade en solo intégral, nous n’utilisons pas de corde. Nous nous entraînons dans des situations habituelles de solo intégral. Nous prêtons attention à la façon dont l’esprit utilise des astuces pour contourner le stress de la mort.
Cette motivation nous permet d’effectuer un entraînement mental ancré dans la réalité. Notre motivation est orientée vers la vie et l’apprentissage, car nous sommes plus proches de la réalité et des conséquences de la mort. Nous ne créons pas d’illusions sur la façon dont les situations devraient être ; nous nous entraînons sur la façon dont elles sont réellement.
Conseil de pratique : Entraînement mental habituel
Quel type d’escalade faites-vous habituellement : sport, trad, bloc, solo ? Quelles sont les distractions typiques de l’attention dans ce type d’escalade ?
Déplacez votre motivation de la recherche de l’accomplissement et du confort, à l’engagement d’un apprentissage stressant. Identifiez les petites actions que vous pouvez entreprendre pour diminuer les distractions typiques de l’attention. Cela vous aidera à vivre les expériences dans lesquelles vous choisissez de vous engager.